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Comment l'exploitation coloniale se perpétue dans les Plantations de Palmiers à Huile PHC en RDC

May 3, 2022
By: Andy Currier
Read in English: Colonial Legacy of Exploitation Thrives Today on the PHC Oil Palm Plantations
Community members of Mwingi near the disputed land of the Lokutu concession.
Membres de la communauté de Mwingi près des terres contestées de la concession de Lokutu © Oskar Epelde

« Il y a eu un schéma étonnamment constant au Congo au cours des siècles. Les étrangers veulent une ressource que possède le territoire. Ils extraient la ressource, causant la mort de milliers ou de millions de personnes dans le processus. Ils justifient cet accaparement en se prétendant altruistes. Quelques âmes courageuses dénoncent et dévoilent l'exploitation en cours. Le monde y prête parfois brièvement attention. Ensuite, le cycle recommence avec une nouvelle ressource. »

Adam Hochschild, Introduction du livre Lord Leverhulme's ghosts

Selon un rapport d’enquête, le 14 septembre 2021, des soldats et des gardes industriels des Plantations et Huileries du Congo (PHC) en République démocratique du Congo (RDC) détruisait des dizaines de maisons, « commettait des pillages systématiques dans plusieurs villages, y compris des actes de torture et l'enlèvement de membres des communautés environnant les plantations. » Quelques mois plus tard, en janvier 2022, l'ONG locale RIAO-RDC rapportait qu'après qu'un groupe d'employés de la plantation PHC de Boteka se soit mis en grève pour protester contre les bas salaires, PHC a appelé la police et l'armée qui ont ouvert le feu sur les manifestants, blessant gravement deux ouvriers. Un an plus tôt, en Février 2021, deux jeunes hommes, Blaise Mokwe et Efolafola Nisoni Manu, ont été tués par les forces de sécurité après avoir été accusés d'avoir volé l'entreprise. À ce jour, PHC n'a fourni aucune explication quant aux circonstances de ces décès.

Bien que PHC reconnaisse la violence structurelle persistante contre les membres des communautés locales, elle rejette la responsabilité sur la police et les forces de sécurité congolaises. Dans une communication de janvier 2022 à l'Oakland Institute, la société PHC déclarait : « les activités illégales sont rapportées aux autorités locales dont les actions échappent au contrôle de PHC. » PHC affirme que « les prix sans précédent de l'huile de palme » ont entraîné une « augmentation du vol de fruits de palme sur nos sites par les membres de la communauté, ce qui a entraîné une augmentation correspondante des activités d'application de la loi par la police locale. » Pour expliquer l'arrestation arbitraire d'un villageois, PHC a déclaré qu'un « moulin à huile de palme artisanal illégal » avait été trouvé au domicile de l'individu en plus des fruits de palme volés à PHC.

Fin mars et début avril 2022, des ONG locales ont signalé que les forces de sécurité avaient détruit des maisons, des champs de manioc et des jarres de vin de palme (une source vitale de revenus pour les personnes âgées) prétendument situés sur les « terres de PHC. » Fin mars, la police a incendié un campement prétendument "illégal" installé sur la concession pour produire du vin de palme. Bien que PHC ait publié une déclaration notant les risques de l'utilisation du feu pour la sécurité de la communauté, elle a observé qu'elle « respecte le jugement des autorités locales qui ont jugé l'utilisation du feu nécessaire dans ce cas. »

Les justifications avancées par PHC pour les violences graves auxquelles sont confrontées les communautés locales doivent être considérées à la lumière de plus d’un siècle d'histoire coloniale de ces plantations de palmiers à huile au Congo.

Workers on the HCB oil palm plantations
Workers on the HCB oil palm plantations
Travailleurs des plantations de palmiers à huile HCB © H. Nicolaï, 1955

Les plantations ont été établies au début du XXe siècle par les colonisateurs Belges. Comme examiné dans un rapport de 2015 de GRAIN, lorsqu'ils se sont aventurés sur le fleuve Congo dans ce que sont aujourd'hui les provinces de l'Équateur et de l'Oriental de la RDC, les Belges ont trouvé des forêts pleines de palmiers à huile à haut rendement. Ce qui a commencé par l'échange de sacs de sel contre quelques hectares de ces terres boisées a rapidement dégénéré en marginalisant les peuples autochtones sur des zones de plus en plus petites, tandis que les plantations de palmiers à huile sous contrôle belge ont rapidement pris de l'ampleur. Comme l'a résumé Gaspard Bosenge Akoko, un membre du parlement de la province orientale : « Ils ont pris toutes ces terres sans un seul document légal. »

En 1911, les Huileries du Congo Belge (HCB), la société créée par le magnat du savon William Lever, ont reçu des autorités coloniales de vastes concessions de palmiers à huile à vil prix. En Angleterre, Lever avait la réputation d'être un employeur modèle offrant des conditions de travail relativement bonnes à ceux de ses usines. Au Congo cependant, il s'est appuyé sur le vol de terres, le travail forcé et un monopole imposé par le régime colonial pour accroître ses profits.

Les peuples autochtones du Congo cultivaient le palmier à huile pour leurs propres usages bien avant l'arrivée des Européens. Les palmeraies à huile étaient répandues et les communautés pouvaient récolter, échanger et vendre les noix de palme qu'elles récoltaient et en tirer profit en tant que propriétaires. Comme l'a analysé le diplomate et historien belge Jules Marchal, cela a rendait le recrutement des travailleurs difficile pour HCB car les habitants n'avaient aucun intérêt à travailler sur les concessions de Lever en tant que salariés « avec les salaires misérables qu'il leur payait. »

Workers on the HCB oil palm plantations
Travailleurs des plantations de palmiers à huile HCB © H. Nicolaï, 1955

Les premières tentatives de recrutement forcé de travailleurs avec des auxiliaires armés se sont heurtées à la résistance des communautés. HCB a alors cherché le soutien des autorités coloniales pour s'assurer qu'elles pouvaient recruter une main-d'œuvre adéquate. Des postes de police ont été établis autour des concessions et avec le soutien des autorités coloniales, HCB est parvenu à contraindre suffisamment de main-d'œuvre pour ses opérations. Les villageois qui refusaient de travailler pour l'entreprise étaient emprisonnés sous l'inculpation « d'absentéisme » pour manquement à leur « devoir de travailler » et souvent battus avec une « chicotte », un fouet en peau de rhinocéros séchée. Ceux qui travaillaient mais ne respectaient pas leurs quotas de récolte quotidiens faisaient face à une châtiment tout aussi sévère.

Après avoir sécurisé cette main-d'œuvre, HCB a ensuite poussé le gouvernement colonial à lui permettre d'exploiter un monopole sur le commerce du palmier à huile au Congo Belge. Il était interdit aux « indigènes » de vendre des fruits de palmier à huile aux commerçants de la région et ils étaient considérés comme des « voleurs » s'ils étaient pris. Leverhulme a justifié le monopole en mettant en éxergue les emplois, les écoles et les installations médicales fournies par l'entreprise malgré la mauvaise qualité des services et leur utilisation limitée par les habitants trop occupés à travailler pour l'entreprise. En quelques décennies seulement, les communautés locales sont passées de la culture, de la récolte et de la vente de palmiers à huile sur leurs terres à n'avoir que d'autre choix que de récolter pour HCB sur les « terres de l'entreprise » – quels que soient les salaires misérables qu'elles recevaient.

Plus d'un siècle plus tard, la situation n'a guère changé pour les communautés vivant autour de ce que l'on appelle aujourd'hui les plantations de palmiers à huile PHC. Les moyens de subsistance des communautés de Lokutu, Yaligimba et Boteka restent gravement touchés par le manque d'accès à la terre - la faim et la pauvreté sont généralisées tandis que le déversement de déchets industriels non traités a pollué une source majeure d'eau potable. Ayant perdu leurs terres et réduits à travailler comme ouvriers dans les plantations, les villageois locaux travaillent pour de maigres salaires dans des conditions de travail dangereuses.

Une chose qui a changé est la propriété de l'entreprise. La savonnerie des frères Lever est finalement devenue le géant actuel Unilever, qui a conservé les plantations jusqu'en 2009. Elle a ensuite été vendue à une société canadienne nommée Feronia, qui a fait faillite en 2020 malgré un financement substantiel de plusieurs banques de développement occidentales. La société de gestion d'investissement basée à New York Kuramo Capital Management détient désormais le contrôle majoritaire des plantations.

Comme détaillé dans un rapport de Février 2022 de l'Oakland Institute, Rencontrez les investisseurs derrière les plantations de palmiers à huile PHC en RDC, un certain nombre d'investisseurs proéminents profitent désormais du vol de terres et des violations des droits de l'homme qui ont lieu dans les plantations de palmiers à huile PHC. Il s'agit notamment de la Fondation Bill & Melinda Gates, de plusieurs écoles et universités américaines (University of Michigan, Washington University in St. Louis, Northwestern University, and Kamehameha Schools) et de Fonds de Pension du Royaume-Uni et d'Afrique du Sud (the Royal County of Berkshire Pension Fund, the South African Government Employees Pension Fund and Public Investment Corporation).

PHC ownership chart
Les dotations universitaires, les fonds de pension et les fondations philanthropiques ont investi ensemble plus de cent millions de dollars dans des fonds gérés par Kuramo Capital Management, qui détient la majorité des parts des concessions de palmiers à huile PHC. Photo : Plantation de palmiers près de Yangambi, RDC © Axel Fassio/CIFOR

Bien qu'ils aient été informés des abus continus qui ont lieu dans les plantations de PHC, aucun des investisseurs de Kuramo Capital Management ne semble avoir agi. Ni PHC ni Kuramo Capital Management n'ont remédié aux arrestations arbitraires, à la violence ou aux mauvaises conditions de travail infligées aux communautés vivant à proximité des plantations.

La tentative de PHC de se distancer des abus susmentionnés ne change rien au fait que l'entreprise fait appel aux autorités locales et aux forces de sécurité qui utilisent une force incontrôlée et écrasante et infligent de graves violations des droits humains pour protéger ses intérêts. Déclarer « illégale » une huilerie de palme artisanale et affirmer que tous les fruits de palme trouvés ont été volés démontrent en fait comment l'attitude de l'entreprise envers les membres des communautés reste inchangée par rapport à l'époque coloniale. PHC fonctionne comme si elle avait le monopole du palmier à huile dans la région, considère les membres des communautés uniquement comme des travailleurs et punit toute activité en dehors de cette relation d'exploitation par une répression brutale.

PHC dit qu'il souhaite s'engager avec les villages et les autorités locales pour déterminer et atténuer les causes profondes des « incidents » violents. Elle prétend également investir massivement dans « ses » communautés et souligne qu'elle fournit de l'emploi. Cependant, les conflits entre l'entreprise, les habitants et les ONG sont intenses, comme en témoignent les violences de l'année dernière. PHC ignore qu'en fin de compte, son occupation des terres des populations et la répression des activités de subsistance qu'elle considère illégales, est un facteur clé de la pauvreté dans la région.

Truckload of oil palm fruits
Camion de fruits de palmier à huile © Dominique Lumpempe Kangamina

Les villageois touchés continuent de protester courageusement contre les mauvaises conditions de travail et restent déterminés à obtenir le retour de leurs terres ancestrales. Tout comme ceux qui profitaient du savon HCB produit il y a un siècle ont fermé les yeux sur la façon dont l'huile de palme était récoltée, les investisseurs dans les plantations - universités, fondations et fonds de pension - ont choisi d'accepter la version des événements de l'entreprise aujourd'hui, dans la poursuite de retours élevés sur leurs investissements.

Les communautés de Lokutu, Yaligimba et Boteka ont attendu trop longtemps que leurs droits à la terre et à la vie soient restaurés. Les investisseurs doivent être mis devant leurs responsabilités pour leur inaction.