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Ruraux Ethiopiens Expulsés: Silence Complice

August 6, 2013
Source
Le Temps

Ces vingt dernières années, l’Ethiopie a émergé en tant que puissance économique montante. Une réalité qui a incité la communauté internationale à injecter des fonds pour développer le pays, et tenter d’ancrer la paix dans une Corne de l’Afrique très instable. Ce soutien, baptisé «Renaissance africaine», s’est traduit par le versement d’environ 3,5 milliards de dollars (3,2 milliards de francs) d’aides annuelles dans les caisses de l’Etat, soit plus de la moitié du budget du pays. Cependant, cette assistance a aussi renforcé une série de plans nationaux agressifs pour un développement de grande envergure, mis en place par l’ancien dirigeant historique, Meles Zenawi, décédé en 2012.

«Villagisation»

En cause, la construction de barrages hydroélectriques contestés et la création de gigantesques plantations agricoles. Pour les réaliser, de vastes programmes de défrichement vont expulser de force quelque 260 000 habitants de leurs terres, et les réinstaller contre leur volonté dans d’autres régions – un processus appelé «villagisation», et qui rappelle celui qu’avait déjà appliqué le dictateur rouge Mengistu au milieu des années 1980 lors de la grande famine. Plusieurs communautés rurales accusent le gouvernement d’Addis-Abeba de violer leurs droits au nom de ces projets de développement de masse. Selon des témoignages recueillis par des groupes de défense des droits humains, ce projet de «villagisation» s’est traduit par un programme vicieux mêlant violences et intimidations des locaux, souvent perpétrées par les forces de sécurité éthiopiennes.

Les activistes pointent aussi du doigt l’Agence américaine pour le développement international (USAID) et le Ministère britannique du développement international (DFID). Ils reprochent à ces deux organismes d’aide étrangère d’ignorer ou de minimiser les témoignages de certaines communautés ethniques qui dénoncent les abus des forces gouvernementales. Malgré plusieurs missions d’information effectuées par des envoyés du DFID et de l’USAID dans les communautés touchées, notamment en janvier et novembre 2012 dans la vallée du Bas-Omo (sud-ouest), Londres et Washington ont estimé que ces accusations n’étaient pas fondées.

Viols et intimidations

Pourtant, selon les enregistrements de certaines des réunions de mission, publiés mi-juillet par l’Oakland Institute, un groupe de réflexion américain, les responsables des deux organismes semblent bien avoir recueilli des témoignages répétés et de première main. «Les transcriptions ne font aucun doute: au cours de leur enquête sur le terrain, le DFID et l’USAID ont reçu des déclarations très crédibles sur de graves violations des droits humains en cours. Et ils ont choisi de les ignorer obstinément», s’insurge Will Hurd, traducteur des enregistrements.

Selon un rapport interne au DFID et à l’USAID, qui a fuité suite à leur mission de janvier 2012, leurs enquêteurs ont relevé des allégations de «viols de femmes et d’un jeune garçon», «d’usage de la force et d’intimidation avec la présence de l’armée», et de menaces de la part du gouvernement, comme «vendez votre bétail ou nous le tuerons». Le rapport conclut: «Comme conséquence à ces menaces, les communautés ethniques locales, Mursi et Bodi en particulier, ont déclaré qu’elles vivaient dans la peur, recourant à d’autres sources de nourriture ou souffrant de la faim. L’expression «attendant de mourir» a été utilisée. Bien que ces allégations soient extrêmement graves, elles n’ont pas pu être confirmées par cette visite.» Cette dernière expression a été mise en gras et soulignée.

Selon l’Oakland Institute, l’USAID et le DFID ont ensuite porté ce rapport à la connaissance du Groupe d’assistance au développement, composé de 26 des plus grandes agences d’aide au développement du monde, y compris le Programme des Nations unies pour le développement, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Sans autre réaction pour le moment. Pendant ce temps, le successeur de Meles Zenawi, le premier ministre Hailemariam Desalegn, a clairement signifié que son gouvernement maintiendrait le programme de développement en cours.