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Une Tribu de Sierra Leone Lutte Contre l'Exploitation d’Huile de Palme

December 13, 2013
Source
France 24
 
L’exploitation par une entreprise luxembourgeoise, la Socfin, d’un terrain de plantation de palmiers à huile sur le territoire de la tribu Malen, dans le district de Pujehun, au sud de la Sierra Leone, provoque depuis 2011 de vives tensions. Plusieurs dizaines de Malen ont été arrêtés puis relâchés cette semaine après avoir protesté contre un projet d’extension de l’exploitation qui, selon eux, bafoue leurs droits.
En mars 2011, la société Socfin SL, dont le groupe français Bolloré est actionnaire à 38.7 %, a signé avec le gouvernement sierra-léonais un bail de 50 ans leur permettant d’implanter, sur 6 500 hectares du territoire des Malen, des plantations de palmiers à huile pour produire de l’huile de palme, principal corps gras végétal du marché mondial de l’alimentation. Le document comprenait également une clause permettant à SocFin d’exploiter à terme 5 000 hectares supplémentaires moyennant l’accord du principal chef Malen, ce qu’elle a commencé à faire ces dernières semaines. Dès 2011, l’entreprise s’était engagée à investir dans le territoire, pour y construire notamment une école, un hôpital ou des routes.
 
Mais des ONG, dont le Oakland Institute qui a publié un rapport sur la situation en 2012, et certains membres de la tribu, contestent la validité du contrat et s’élèvent contre l’extension du terrain exploité par SocFin.
 
Plantations de palmiers à huile de la SocFin en territoire Malen. Photo: Oakland Institute.
 
Lundi 9 décembre, quatorze jeunes Malen se sont regroupés pour exprimer leur désaccord. Ils ont été arrêtés par la police, provoquant la colère d’autres membres de leur communauté qui se sont rendus au poste de police du territoire Malen pour demander leur libération. Selon plusieurs de nos sources, les policiers auraient utilisé des gaz lacrymogènes et tiré des balles en l’air, semant la panique parmi les manifestants. Plusieurs dizaines ont en tout cas été arrêtés avec violence. Les photos ci-dessous ont été prises et transmises à FRANCE 24 par Mohammed Massaqoi, journaliste pour le site sierra-léonais PoliticoSL, et montrent des manifestants Malen blessés.
 
Contacté par FRANCE 24, le directeur de SocFin, Luc Boedt, affirme pour sa part que "la police est intervenue, car le regroupement n’était pas autorisé". Il ajoute qu’à sa connaissance, il n’y a eu aucun blessé.
 

"Les Malen sont payés une misère et travaillent dans des conditions d’hygiène et de sécurité catastrophiques" --Sima Mattia

 

Sima Mattia est agriculteur Malen et président de l’ONG locale Maloa, qui milite pour renégocier le contrat. Selon lui, le bail d’origine a été faussé et l’entreprise n’a pas tenu ses engagements envers les Malen.
"Le contrat qui a été signé entre le gouvernement et SocFin est censé avoir obtenu l'accord de tous les propriétaires terriens Malen qui travaillaient sur le territoire concédé, mais il y a de nombreuses irrégularités. Plusieurs noms apposés sur le document sont en réalité les surnoms de ces personnes, pas leur nom civil. On sait que certaines n’étaient pas présentes, il y a donc probablement eu fraude. Par ailleurs, beaucoup sont convaincus que le ‘paramount chief’ des Malen [le chef de la tribu], dont le seul accord était nécessaire pour commencer l’exploitation des 5 000 hectares supplémentaires, a accepté car il a été corrompu par la SocFin.
 
Les personnes qui vivaient de ces terres avant l’arrivée de l’entreprise ont toutes été mises devant le fait accompli. Certaines ont quitté le territoire Malen pour tenter de trouver du travail ailleurs. Mais la plupart ont accepté de travailler pour SocFin, qui leur avait dit qu’ils gagneraient autant que lorsqu’ils travaillaient à leur compte. Au final, ils sont payés une misère, au maximum 100 dollars par mois, et encore, pour cela, il faut travailler tous les jours de la semaine. Les conditions d’hygiène et de sécurité sont catastrophiques. Plusieurs travailleurs ont été licenciés juste pour avoir fait une remarque à ce sujet. Aucun syndicat n’est autorisé à accéder au site d’exploitation sous prétexte que c’est une propriété privée.
 
Contrairement à ce qu’avait promis SocFin, peu d’infrastructures ont été construites. Il y a bien eu une route, mais elle ne dessert que l’exploitation, elle ne nous permet pas de rejoindre les principaux points de notre territoire. Nous aimerions trouver une solution pour renégocier le contrat, et faire en sorte que cette fois il soit signé par tout le monde, mais le gouvernement est main dans la main avec SocFin et ne fait rien pour nous aider."

Controverse sur un arrachage de palmiers à huile
 
Le directeur de l’entreprise, Luc Boedt, dément les affirmations de Sima Mattia. Selon lui, SocFin s’est installée en territoire Malen à la demande du gouvernement, afin d’aider à "moderniser l’agriculture" de la région. "C’est un projet de développement rural, qui impliquait de consulter les habitants et de négocier avec les villageois, ce que nous avons fait. Nous n’avons pas touché aux terrains des agriculteurs qui ne nous en ont pas donné l’accord" assure-t-il, niant que de fausses signatures ait été apposées sur le contrat. Il estime par ailleurs que "le projet de SocFin a permis la création de 4 000 emplois dans la région : des agriculteurs, mais aussi des cadres ou des informaticiens. C’est ce genre d’opportunités de développement qu’il faut pour faire avancer l’Afrique, plutôt que de quémander des aides en Occident" fait-il valoir.
 
Le responsable de SocFin assure par ailleurs avoir de "forts soupçons" sur l’implication de Sima Mattia et de quatre membres de Maloa dans l’arrachage, courant octobre, de plants de palmiers à huile. Or, pour Baki Youssoufou, un franco-sierra-léonais fondateur de la plateforme de pétition We Sign It [dont une pétition vise à soutenir les Malen], qui collabore avec l’ONG Maloa, ces accusations sont infondées : "Les personnes accusées sont toutes des figures publiques connues pour leur opposition à SocFin. Le témoignage qui les accuse est très léger : leur accusateur dit les avoir vus arracher des plants de nuit. Il a cité nominalement ces cinq personnes, mais quand le juge lui a présenté leur photo, il était incapable de les reconnaître. J’ai de forts soupçons qu’il ait été payé par nos opposants pour témoigner" affirme-t-il. Le procès qui devait se tenir le 6 décembre a été repoussé au 10 janvier.